La riposte de Philippe IV est extrêmement violente ; Avec une habileté consommée de la propagande, pour mettre dans sa poche son opinion publique, il faut reproduire et placarder les extraits désobligeants de la bulle papale. Le Roi fait circuler la réponse qu’il va envoyer au pape, qui commence par « saches que nous ne sommes soumis à quiconque au temporel… » (pour tout ce qui relève des affaires politiques).
Philippe IV convoque pour avril 1302 (6 mois avant le concile pontifical) la réunion de grands ecclésiastiques français, de grands barons français et quelques grands représentants des villes français : il convoque les premiers états généraux. Naissance des Etats Généraux : avril 1302.
Philippe confie l’ouverture de ces états généraux à son chancelier, Pierre Flotte (homme extrêmement habile et modéré, c’est un légiste). En un discours remarquablement argumenté, Flotte qui sait très bien que les oreilles de certains envoyés pontificaux sont présents, souligne d’abord que le Roi de France tient son royaume de Dieu, et non pas du pape. Il souligne que c’est au Roi seul d’améliorer les affaires du Gouvernement. Puis faisant connaître tous les griefs du Roi contre le Pape, il demande à l’assemblée de soutenir le Roi « dans sa défense des libertés du Royaume » (essentiel) qui s’inscrit dans la quête et l’affirmation de l’indépendance du Roi, et dans la défense de la liberté de l’Eglise de France (chose encore plus importante). Liberté du Roi dans sa gouvernance, et aussi de l’Eglise de France.
Après le discours, Philippe IV se lève majestueusement et regardant chacun des 3 ordres, ils demandent aux évêques : « de qui tenez vous vos évêchés ? » Pui « de qui tenez-vous vos biens ». Réponse unanime : « de vous ». Philippe réplique « et nous, nous tenons notre Royaume de Dieu seul ».
Le clergé de France se rallie au Roi
Après cette sortie magistrale, le clergé de France promet de ne pas aller au concile convoqué par le pape, se rallie en bloc au Roi de France, qui dorénavant se pose en défenseur du royaume et du temporel de l’Eglise de France.
Boniface, impressionné par l’unanimité, recule et explique en balbutiant qu’il n’avait pas voulu intervenir dans les affaires du royaume de France, mais qu’il était intervenu au titre du péché (en latin, ratione pecati).
Les choses en seraient resté là si le Roi n’avait pas en 1302 subi une sévère défaite contre les flamands, qui l’affaiblit momentanément. Du coup Boniface redresse la tête, maintient le concile de novembre 1302, ou 39 évêques français disent qu’ils vont s’y rendre.
Fort de sa puissance retrouvée, le pape fulmine une autre bulle, restée extrêmement célèbre sous le nom de « unam sanctam » (une seule chose qui soit sainte). Boniface voulait dire qu’il n’y avait qu’une seule foi, la foi chrétienne, une seule église (l’église romaine apostolique) et une seule société, un seul peuple (tous les chrétiens) et qu’enfin qu’il n’y avait qu’un seul chef de tous ces chrétiens, le pape.
La théorie des deux glaives
Boniface ressort dans son expression la plus guerrière, la plus violente, la plus extrême la théorie pontificale, c’est-à-dire celle qui avait eu ses beaux jours quelques années auparavant et que l’on déclinait sous la théorie des deux glaives : le glaive spirituel et le glaive temporel. Ces 2 glaives étant en la main du pape.
Les rois étant soumis à la puissance pontificale, et n’ayant eu que la potestas. Dans cette théorie, le pape détenteur de l’auctoritas (le pouvoir spirituel, le plus haut des pouvoirs, il y a une hiérarchie des pouvoirs) c’est donc à lui qu’il revient de guider l’action secondaire des rois. Et le cas échéant de les déposer au cas où ils n’obéiraient pas au pape.
Philippe IV est quelque peu ébranlé par cette espèce de violence, qu’effectivement Boniface menace de déposer le Roi, de le condamner et menace même de l’excommunier (ce qui entrainerait l’excommunication de tout le royaume, ce qui est à cette époque est inenvisageable, qui est une catastrophe). Excommunier : plus une messe ne peut être dite dans le royaume, et donc que tout le monde ira griller en enfer. A cette époque, personne ne rit, mais alors pas du tout du tout.
Le petit Boniface se frotte les mains et se dit qu’il va avoir la peau de Philippe IV. Face à une situation aussi inquiétante et catastrophique et alors que Pierre Flotte vient de disparaître, les conseillers du Roi lui susurre à l’oreille qu’il faudrait peut être envisagé un coup de force contre le Pape.
La victoire « peu glorieuse » de la royauté
L’artisan de la victoire est Guillaume de Nogaret. Le plan consiste à enlever le pape et à le traduire devant ce que l’on appelle un concile œcuménique (le rassemblement général de tous les évêques d’occident : en droit canonique le concile œcuménique est supérieur au concile national).
Nogaret avec sa troupe arrive dans le lieu ou Boniface prenait quelque repose (à Anagni, essentiel CG). Il lui lit l’acte d’accusation et il le convoque effectivement devant le concile œcuménique. Boniface refuse. Nogaret s’énerve et balance une claque un peu trop violente contre le malheureux pape et qui est sauvé en catastrophe, qui rentre à Rome et meurt. Toujours est-il que le Roi de France se trouve dans une situation pas très glorieuse.
Pendant quelques années les choses se ont à peu près tassées, mais personne ni du coté de la royauté ni de la papauté ne voulait voir les choses s’envenimées. Quelques années plus tard est élu comme par hasard un pape français, Clément V, qui va mettre fin définitivement à tous les troubles en 1311, en adoptant une nouvelle bulle, la bulle rex gloriae (« à la gloire du roi de France »). Le pape lève toutes les condamnations exprimées contre le Roi et ses légistes (dont Nogaret).
Pendant quelques années, les papes séjournent en Avignon. Dans les moments ou le conclave avaient du mal à se mettre d’accord. Le Roi avait fait encercler le palais, et mis tout le monde « au pain sec et à l’eau ». Peu de temps après élection d’un pape qui convenait au Roi de France.
La victoire finale revient au Roi
Le conflit entre Philippe IV et le pape s’achève par la victoire de Philippe IV. Cela marque la fin de la théocratie pontificale dans sa forme la plus active : la bulle unam sanctam a fait pschitt. La papauté renonçait à toute supériorité temporelle pour le Roi. De la même façon que face à l’empereur, face au pape, le Roi peut dire « le roi est empereur en son royaume ».
Cela marque aussi la naissance quelque chose de capital dans l’histoire des relations entre l’Eglise et l’Etat. Cette victoire marque effectivement la naissance du gallicanisme politique et religieux. Politique, c’est-à-dire l’Eglise de France a une liberté particulière ce qui signifie qu’elle est soumise au pape pour le spirituel, mais elle est soumise au Roi pour tout le temporel (ce qui avait été dit aux Etats généraux). Le gallicanisme dans son expression religieuse considère que le concile œcuménique (réunion de tous les évêques d’occident) est supérieur au pape (thèse avancée par Guillaume de Nogaret).
Par conséquent au terme de la lutte entre Philippe et Boniface, la royauté française s’est dégagée de toute tutelle et de toute ingérence (ce qui est une autre façon de parler de souveraineté), mais du coup par un système de vases communiquant il avait renforcé les libertés et aussi quelque chose d’essentiel, l’unité. Là est en train de se mettre en place l’Etat et la Nation. C’est très très important.
Il était bien évident que cette indépendance ne serait totale que si elle était complétée dans le Royaume par la souveraineté intérieure.