Jusqu’au XIIIème, la transmission de la Couronne s’était toujours fait sans heurt car le Roi avait toujours eu un fils ainé pour lui succéder. Les Capétiens, qui sont des francs, ont continué la pratique franque qui consiste à dire que seul les fils héritent. Cela avait laissé au Roi toute la latitude pour user et abuser de toutes les ressources la loyauté féodale contre les grands.
Les rois capétiens, surtout les premiers, avaient pu établir l’hérédité de la Couronne, hérédité qui tenait sa force, sa puissance, de la seule coutume, puisque nous le savons cette hérédité n’avait jamais été juridiquement affirmée. Les rois capétiens se sont succédé de père en fils par coutume. Du coup ils avaient pu sans contestation possible imposer la règle de primogéniture (primo le premier, gens : la naissance) et subséquemment celle de l’indivisibilité du royaume puisqu’au roi succédait le fils aîné qui exerçait son pouvoir sur l’ensemble du Royaume qui lui était transmis intégralement, et non plus divisé entre autant de fils qu’avait le Roi.
Un consensus préétabli
Ce que l’on constate, c’est que cette belle construction pragmatique et coutumière reposait sur une sorte de consensus préétabli sur un cas de figure préétabli, et ce cas de figure était que le Roi avait toujours eu un fils. On ne s’était pas posé la question de savoir ce qui allait se passer s’il n’avait plus de fils.
Au cas où le Roi en exercice à sa mort n’avait pas de fils, est-ce que la transmission du pouvoir allait être garantie sans difficulté, sans discussion.
On s’aperçoit que rien n’était moins sur, et on le vit au début du XIVème, en 1316, avec ce que les historiens ont l’habitude d’appeler la fin du « miracle capétien ». Sur plus de 200 ans, tous les rois ont eu des fils. Cela apparaissait presque comme un signe de la grâce de Dieu. Rappel : fin XIIème, le roi porte le titre de « Roi très chrétien ». Donc entre la culture du XIIème XIIIème et celle des historiens du XIXème (très catholiques aussi) s’est forgée cette expression. Mais sur un plan scientifique il n’y a pas réellement de miracle.
Il n’en reste pas moins vrai que les rois de France ont eu des fils pour leur succéder jusqu’en 1316, cela a conféré à la dynastie capétienne une stabilité extraordinaire, alors que dans le même temps en Allemagne et en Angleterre c’était une pagaille monstre. A cette époque le seul royaume qui présentait une série de successions sans difficultés était le royaume de France.
La fin du miracle Capétien
La fin du miracle capétien fait prendre conscience des inconvénients d’une conception de la transmission du pouvoir dénuée de tout fondement juridique.
En d’autres termes, ce qui est mis à partir de 1316 en évidence, c’est le décalage entre la pratique héréditaire de la transmission de la couronne et l’absence de règles juridiques qui n’auraient pas pu être contestées, concernant la dévolution du pouvoir.
On avait là un vide juridique : ce vide juridique pouvait être extrêmement dangereux pour la dynastie des capétiens. Mais il faut quand même ajouter qu’ils étaient solidement implantés et il en aurait fallu beaucoup pour les déstabiliser totalement. De fait, les crises qui vont secouer la dynastie capétienne vont avoir lieu à une période de son histoire ou la royauté est solidement implantée, ce qui fait qu’elle va pouvoir résoudre ces crises en précisant à chaque étape du règlement de la crise les règles de la transmission de la Couronne.
Ce que l’on constate, c’est que ces règles dès lors qu’elles seront solidement établies, on les rassemblera en une espèce de corps unique (ce qu’on appelle un corpus doctrinal), ce corpus doctrinal va porter le nom de Théorie statutaire. (du latin Stare, Sto : établir).
L’ensemble va durer un bon siècle. La démarche : face à un problème nouveau, on crée une règle nouvelle. A la fin, on les rassemble et on fait un corpus.
La transmission
Ces règles qui vont ensuite régler le fonctionnement de la monarchie jusqu’à Charles X, sont établies sans qu’il y ait une idée préconçue au départ.
Cela signifie que ce sont posés 2 grands principes, et ces 2 grands principes sont :
– celui qui concerne la masculinité
– celui qui concerne la continuité
Dans le royaume de France, la transmission de France va s’organiser autour de ces 2 principes
Principe de masculinité
Ce principe lui-même se dédouble. Il se dédouble en exclusion des descendants femmes et en exclusion des descendants mâles par les femmes.
Ex : le Roi Louis X meurt
Il ne laisse à sa mort que des filles. Aucune ne peut hériter de la Couronne.
L’une des filles a un fils. On pourrait se dire que l’on zappe les filles et que l’on transmet la couronne à son petit-fils en ligne directe. Hé bien non. Pourquoi ? Parce que ce petit fils vient de la fille.
Or il se trouve que cette situation c’est produite.
Donc il faut reprendre ces 2 cas, à savoir, que le principe de masculinité qui exclue et les femmes et les descendants mâles par les femmes, a pour résultat la règle selon laquelle dans le royaume de France la couronne se transmet de mâle en mâle (ce n’est pas vrai dans les autres royautés occidentales de l’époque).
Il a fallu d’abord régler une situation de fait, et ensuite produire des règles.
De cette exclusion des femmes s’est posé en 1316 à la mort du Roi Louis X qui s’appelle le Hutin. Lorsque Louis X le Hutin meurt, il ne laisse que des filles. Il laisse une petite fille qui s’appelle Jeanne qui 4 ans et il laisse une femme enceinte (le salaud !). A cette époque là on ne pouvait pas savoir si c’était un garçon ou une fille. Par conséquent il a fallu attendre ou assurer la régence en attendant la naissance de celui qu’on espérait être un petit garçon.
C’est la raison pour laquelle Louis X étant mort, automatiquement son frère qui s’appelle Philippe va se proclamer de sa propre autorité régent du royaume. –> Auto proclamation régent, sans rien ne demander à personne. A cette date, personne ne peut contester à Philippe le fait qu’il se soit proclamé régent. Ce n’est qu’après s’être proclamé régent le 16 juillet 1316, il convoque une grande assemblée dans la tradition des grandes assemblées carolingiennes de hauts dignitaires ecclésiastiques et des barons pour qu’ensemble ils examinent.
Raison officielle : pour examiner l’affaire
Raison officieuse : pour qu’en réalité ces ecclésiastiques et barons approuvent sa régence
L’assemblée décide de maintenir la régence de Philippe jusqu’à la majorité de l’enfant à naître, en revanche de désigner roi si la reine venait à mettre au monde une fille. Et là, c’est un garçon qui naît et qui s’appelle Jean. 8 jours après sa naissance, il meurt. La mort de ce petit garçon qui n’avait plus que 8 jours ouvrait pour la 1ère fois dans l’histoire de la famille capétienne depuis 987 une succession sans descendance mâle directe. Selon la décision qui avait été adoptée en juillet par les grands, le régent devient Roi sous le nom de Philippe V.
Il se dépêche de se faire sacrer roi pour couper court à toute protestation et en particulier la protestation émise par son autre frère Charles : qui dit que c’est un abus, que c’est scandaleux car Philippe devient Roi au mépris des droits de la petite fille de 4 ans qui s’appelle Jeanne.
Il prend la défense de sa nièce car il est jaloux. Philippe V fait réunir à Paris en février 1317 une nouvelle assemblée car celle-ci comprend les hauts ecclésiastiques, les grands barons du royaume mais aussi les bourgeois (c’est-à-dire les personnages les plus importants des villes, en particulier de la ville de Paris et les membres les plus influents de l’Université de Paris qui était née au XIII e siècle : sa spécialité était la théologie et le droit canon. C’était donc des juristes et des remarquables connaisseurs du droit de l’église). Ils décrétaient : « femmes ne succèdent pas à la couronne de France. »
Cette motivation manquait absolument de fondement juridique comme d’ailleurs l’ont fait remarquer un certain nombre de chroniqueurs. Un chroniqueur dit : « On ne pouvait prouver la chose de façon incontestable parce que personne à l’époque n’avait une conscience claire de l’incapacité des femmes en la matière. » On parle d’incapacité juridique.
Les arguments de droit féodal
Du point de vue strictement juridique, Jeanne ou alors ses partisans (son oncle Charles) font valoir qu’il existe un certain nombre d’arguments qui peuvent autoriser une succession féminine.
- 1er argument : le droit féodal reconnaissait aux femmes la succession aux fiefs à condition qu’elle trouve un homme et qu’elle se remarie rapidement. Charles (le 3ème frère) met en avant de surcroît un arrêt de 1309 du Parlement de Paris (juridiction royale supérieure) qui avait débouté Robert d’Artois à la comtesse d’Artois.
- 2ème argument : dans les autres royaumes (Angleterre, Castille, Navarre, Portugal, des femmes succèdent à la Couronne
- 3ème argument : chez les capétiens les femmes assurent la régence.
Par conséquent les arguments opposés à Philippe n’étaient pas sans fondements juridiques bien au contraire.
Philippe V a évoqué à son tour des contre arguments.
- 1er argument : le jeune âge de Jeanne
- 2ème argument : argument surtout aux yeux des ecclésiastiques qui avaient une haine contre les femmes : sexe faible (les femmes). -> Fragilité des femmes
- 3ème argument : Elle aurait pu épouser un prince étranger
Ce qu’il faut retenir, c’est que le principe de l’exclusion des femmes à la Couronne est né en France de l’ambition d’un homme qui a su utilisé forte habilement des circonstances inespérées pour lui en les détournant à son profit.
C’est ce principe qui va devenir la règle de Droit jusqu’à la fin de la monarchie. Comme suite logique des circonstances s’établit un autre précédent selon lequel désormais chez les capétiens faute de descendant mâle direct la Couronne peut revenir au frère le plus âgé du roi défunt qui du coup devient le premier né. En 1322, il meurt à son tour. En plus il ne laisse que des filles. Charles oublie les arguments au profit de Jeanne… et devient Roi à son tour.
Le précédent s’applique : Charles sous le nom de IV sans aucune contestation. Seulement, il y a un coup du sort en 1328, Charles IV meurt. Tous les fils de Philippe IV sont morts.
Quelles sont les conséquences de ces 3 morts successives ?
Les juristes se trouvent face à une situation inédite, ils n’avaient aucune solution juridique à proposer. La situation est d’autant plus catastrophique que la dernière personne qui était la fille de Philippe IV le Bel c’est Isabelle de France (née entre Louis et Philippe). Celle-ci avait été mariée au Roi d’Angleterre : Edouard II. Isabelle avait un fils : Edouard III. Donc lorsque meurt Charles IV qui à son tour ne laisse que des filles, c’est la catastrophe. Il ne reste plus personne sauf le fils d’Isabelle mais qui a pour lui d’être aussi le fils du Roi d’Angleterre.
L’entourage se dépêche de fabriquer un autre adage.