A partir du milieu du XIIème (1150s), on assiste à des mutations, des changements dans tous les domaines, que ce soit les domaines économique, social, politique, intellectuel et aussi et peut-être surtout juridique, avec la découverte ou la redécouverte du droit romain.
En effet, cette période qui commence dans les années 1150 forment une sorte de passage, de transition entre ce que l’on appelle les Temps féodaux et ce que l’ont appelle les Temps modernes. Cette période intermédiaire est placée sous le signe de l’unité, et cette fois une unité derrière laquelle les dynasties précédentes courraient depuis des siècles, et qui va enfin se réaliser au cours des XVIIème et XVIIIème siècles.
En d’autres termes, par rapport à ce que l’on appelle le Second Age médiéval, la France ou plus exactement le Royaume de France connaît une transformation capitale, décisive pour un propos qui nous intéresse plus particulièrement, c’est-à-dire dans les rapports de pouvoir. C’est au cours de ce Second Age féodal que dépassant tous les cadres, toutes les structures qui à la fois l’avaient un peu brisées et en même temps un peu consolidées, la royauté va émerger.
C’est donc au cours de cette période que la royauté va réussir ce qu’elle n’avait pas réussi à faire précédemment, c’est-à-dire à imposer son autorité sur toutes les composantes, sur toutes les forces du royaume, qui avaient pris pendant la période féodale un peu trop de liberté et d’autonomie. Du coup cette royauté va apparaître de plus en plus comme une puissance à la fois de plus en plus indépendante par rapport aux autres forces qui existent dans le royaume, et du coup en même temps une puissance de mieux en mieux organisée, structurée.
C’est au terme d’un travail qui a été très long, qui a porté sur des siècles, qui a été très patient de cette reconstruction de l’unité, que se développe, que s’affermit, que émerge la notion de ce qui capital et que l’on appelle l’Etat.
C’est donc au cours de cette période que la souveraineté royale s’affirme et qu’en même temps, parallèlement, concomitamment se met en place un système de centralisme gouvernemental, c’est-à-dire un appareil de gouvernement avec toute son armature judiciaire et administrative.
Mode de fonctionnement étatique
A partir du moment où se met en marche cette souveraineté, avec ses attributs et ses prérogatives, on va vers un mode de fonctionnement étatique. La monarchie que l’on qualifiera d’absolue, elle n’était pas inscrite d’entrée de jeu au XIIème. En France, la monarchie aurait très bien pu ne pas évoluer vers un absolutisme. On verra rapidement que l’évolution de la monarchie anglaise n’a pas été la même. Très tôt l’Angleterre est devenue une monarchie parlementaire.
Ainsi, tandis que les derniers vestiges de la féodalité – ce mouvement à l’origine de l’éclatement de la souveraineté royale – s’estompent et s’achève dans ce qu’il faut désormais appeler le royaume de France (et non plus le royaume des Francs), la royauté laisse place à une monarchie de plus absolue
Une évolution en deux parties :
– De mi XIIème à la fin XVème : le Second Age médiéval ou la reconstruction de l’unité, c’est-à-dire souveraineté royale et renaissance de l’Etat
– XVIème et au-delà : les Temps Modernes que l’on pourrait aussi qualifier d’achèvement de l’unité, c’est-à-dire monarchie absolue et processus absolutistes.
Une nouvelle définition du pouvoir
Cette nouvelle définition du pouvoir royal, c’est que il y eu d’abord, conséquence d’un certain nombre de réformes précédentes, une réforme de l’Eglise (non traitée ici). Un point extrêmement important de cette réforme. Dans le cadre de cette réforme, le chef de l’Eglise catholique, le pape ou la papauté considère qu’elle est la seule force légitime pour présider à la destinée de cet Occident chrétien, et de ce point de vue il n’y a pas de barrière. Le Pape est alors considéré comme le chef de tous les chrétiens, en tant qu’il est le successeur de Pierre.
Important : même si on parle d’un Etat laïc, on verra que le droit est totalement imprégné d’une culture chrétienne
On arrive à ce moment là à une espèce de statu quo. Le pape préside aux destinées spirituelles et abandonne aux différents rois ou empereurs de cet Occident tout ce qui concerne les affaires séculières, temporelles. La conséquence de cette espèce de séparation (au pape le spirituel, aux rois le temporel) est que le sacre que reçoit le Roi le jour de son intronisation perd alors de son caractère sacral. Le sacre royal devient par la force des choses un ‘sacrement’ mineur, inférieur. En d’autres termes, et c’est capital, car cela débouchera en France sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905.
S’il continue à recevoir le sacre, le Roi même, est considéré par l’Eglise comme un laïc : il n’est plus comme à l’époque des Hébreux ou des Carolingiens considéré comme un roi et un prêtre. Il est considéré comme un personnage distingué par Dieu qui reçoit une marque particulière qui fait qu’il est au dessus du commun des mortels (c’est la raison pour laquelle on dit qu’il est oint – qu’il a reçu une onction) mais que cela n’en fait pas un prêtre. Le Roi est distingué par cette onction par l’archevêque. Ce qui a pour conséquence de dire que si ce roi est roi, c’est qu’il a été distingué par la volonté de Dieu. Le Roi tient son pouvoir de Dieu, et la marque de cette distinction, c’est le sacre. Donc le Roi est un personnage sacré mais reste un laïc.
Un roi de droit divin
En conséquence, personne ne peut remettre en cause le pouvoir de ce personnage. Là est en train de se forger, une notion qui verra le jour plus tard. Alors que pour l’heure que le Roi est l’oing du Seigneur. On dire plus tard qu’il est roi de droit divin.
L’Eglise a rendu un service fantastique au pouvoir royal. A partir du moment où aux yeux de l’Eglise qui est une puissance colossale à cette époque, la royauté perd son assise, son fondement essentiel, cette royauté s’est trouvé dans l’obligation pour imposer sa supériorité de s’alimenter à d’autres sources. Pour ce faire, elle va être aidée par la personnalité d’un certain nombre de rois. Mais elle aussi être aidé par un certain nombre de personnage de plus en plus lettrés, de plus en plus au fait du droit. Ceux que l’on appelle les légistes (de lex : la loi) qui vont devenir des théoriciens du pouvoir.
Attention : au XIIème, lex veut dire le droit romain. Donc un légiste au XIIème est quelqu’un qui connaît le droit romain.
Action de la royauté + action de ces légistes (théoriciens du pouvoir) va conduire au cours des siècles (XIIIème, XIVème et XVème) à ne plus définir la royauté uniquement par rapport à Dieu, mais au contraire de l’affirmer, de la préciser par rapport aux hommes, par rapport à la société telle qu’elle existe, à savoir en tant que communauté politique (à l’époque, c’est donc l’ensemble de tous les sujets du Roi de France). C’est sur cette communauté politique (au sens d’Aristote) que le Roi veut et va de plus en plus exercer son autorité, son pouvoir.
Dès lors, tout au long de cette première période s’affirme une et la suprématie royale, qui peu à peu va s’étendre à tout le royaume et va se déterminer aussi par rapport à lui. Tandis que dans le même temps grâce à cet extraordinaire mouvement de pensée du XIIème siècle qui est fabuleux, et donc en particulier grâce à l’essor de la réflexion juridique, la notion de pouvoir royal qui jusque là était imbriqué à la personne physique du Roi, désormais la notion de pouvoir se détache de la personne physique du Roi. Le Roi n’est pas le pouvoir, le Roi exerce le pouvoir.
Du coup, on arrive à une notion beaucoup plus abstraite, impersonnelle et par la même beaucoup plus durable : le concept de couronne. Ce concept de couronne qui est le préalable à cette autre notion, la notion d’Etat. Voilà ce qui est en train de se mettre en place.