Il faut savoir que le roi n’aura jamais totalement ce monopole jusqu’à la Révolution française (toujours des parcelles de justice ecclésiastique et seigneuriale). Mais c’est parce que la royauté contient en elle-même l’idée de justice, les capétiens, les rois successifs de cette dynastie, la communauté politique attend qu’il rendre à chacun son dû, et donc qu’il lutte contre ceux qui empiètent, ou qui se sont emparés de ce droit régalien qu’est la justice.
A partir du moment où le Roi devient de plus en plus puissant, souverain et efficace sur le terrain, le Roi va s’attaquer d’une part, les unes après les autres, d’une part aux justices seigneuriales parce qu’elles étaient les moins dangereuses, puis un peu plus tard aux justices ecclésiastiques qui elles étaient sacrement bien développées, et nuisibles pour la royauté. Le but est de vider l’une et l’autre de leur compétence.
Lutte de la royauté contre les justices seigneuriales
Cela n’a pu se faire qu’à la fin du règne de Philippe-Auguste, et pendant les règnes de Louis VIII, Louis IX et Philippe III le Hardi (au XIIIème).
L’essor de la fonction judiciaire du Roi que traduit dès le XIIIème l’adage « toute justice émane du Roi » s’inscrit dans celui de la technicité grandissante des légistes royaux qui vont agir sur les seigneurs, les seigneurs qui exerçaient leur droit de justice sur les hommes de leur seigneurie, sur le ressort de leur seigneurie.
Mais comme les justices seigneuriales n’avaient pas eux sauf quelques très grands (Duc de Champagne, Duc de Normandie), n’avaient pas autour d’eux des juristes. Ils avaient autour d’eux leurs vassaux, et qui constituaient selon les anciennes pratiques la cour de justice féodale. Un vassal était convoqué devant cette cour, et en fonction des mesures en vigueur, il allait être condamné par cette cour d’un autre âge, avec des procédures extrêmement archaïque (mode de preuve judiciaire : le duel judiciaire, l’ordalie…). Avec la renaissance du droit romain, ces pratiques paraissent d’un autre âge. Dès lors, la lutte contre ces justices a été plus facile.
Comment la royauté va-t-elle s’y prendre alors que la procédure d’appel n’existe pas puisque chaque cour féodale est considérée comme souveraine ? Par conséquent, logiquement l’idée d’appel, l’idée de recours est exclue. Comment se sortir de cette soi-disante impossibilité ?
La royauté va s’appuyer sur 2 voies de recours sur lesquelles elle n’aurait pas pu s’appuyer au siècle précédent, mais admises au XIIIème.
Elle va s’appuyer sur le défaut de droit. Il est admis au XIIIème pour tous les hommes, c’est-à-dire donc pour les justiciables que lorsque le juge féodal, en l’occurrence le seigneur, refuse de dire le droit, et bien le justiciable peut alors faire appel à la justice royale.
L’autre voie de recours, c’est celle que l’on appelle le faux jugement, c’est-à-dire quand il est constaté par les agents de la royauté. Faux jugement quand il est constaté que le seigneur, le juge féodal s’est mal acquitté de son devoir de justice.
Dans ces 2 cas, le justiciable pouvait faire appel à la justice royale. C’est ainsi, et cela a été terriblement astucieux, que par ces 2 voies de recours, par ces 2 procédures, la justice royale a pu sans heurter de front les principes du droit féodale, c’es à dire remettre en cause la souveraineté de la cour féodale, pénétrer de plus en plus loin dans les seigneuries jusqu’au plus petit justiciable.
Deux voies de recours possibles
Qu’est ce qui a motivé chez les légistes du Roi ces 2 voies de recours ? C’est l’idée que d’accord les cours féodales sont souveraines, mais au-delà de la souveraineté des cours féodales, il y a l’idée de la souveraineté royale. C’est de cette idée de souveraineté que les juristes de l’entourage royal ont déduit que les justices seigneuriales, toutes les justices seigneuriales dépendaient du Roi, un Roi qui est « source de toute justice ».
Essentiel : c’est donc cette idée capitale les seigneurs n’ont qu’une justice déléguée et que le Roi lui a une justice retenue.
Et par conséquent il revient au Roi de contrôler cette justice déléguée. Un pas énorme a été franchi, parce que les seigneurs qui en raison de l’anarchie féodale s’était approprié les droits de la puissance publique, dans la théorie de la souveraineté royale, on établit cette idée que toute justice est au Roi, et que tous ceux qui dorénavant l’exerce non pas en leur nom ou pour leur profit, mais au nom du Roi.
Par conséquent, très vite les seigneurs vont être remplacés par les agents de la royauté, les fameux baillis et sénéchaux qui vont être envoyés par le Roi pour localement exercer le pouvoir judiciaire au nom du Roi. Un Roi qui d’ailleurs exige (on est aux racines de la fonction publique) des baillis qu’ils rendent « bonne et prompte justice ».
Pour mieux combattre, pour mieux éliminer celles qui restent des justices seigneuriales, la royauté au nom d’une compétence supérieure, va mettre en place 3 voies de procédure.
Du latin praevinire, venir avant. Au XIIIème la prévention est relative. Elle peut cependant être absolue en cas de prompte… Elle va évidemment au fur et à mesure tendre à devenir absolue systématiquement.
C’est l’idée géniale qui veut que le roi se réserve toutes les causes qui touchent le Roi. Comme le Roi devient de plus en plus absolu, nécessairement tout va devenir cas royal.
La liste des cas ou le Roi de France a un intérêt direct ou indirect a commencé par des cas très sérieux . Ex : le crime de lèse-majesté (assez largement admis), tout ce qui portait atteinte au domaine royal, toutes les personnes qui bénéficiaient de la sauvegarde royale, contravention à toutes les ordonnances royales… Finalement la liste est très longue, elle n’est pas exhaustive, et pire encore la liste n’est pas vraiment connue. D’une façon ou d’une autre tout peut être cas royal.
Donc par ces 3 moyens, la royauté luttait de biais et non pas de façon frontale, contre les justices seigneuriales. A la fin du XIVème, elle porte l’estocade. Elle s’attaque de front aux justices seigneuriales, au nom de ce qu’on appelle l’abus de justice. C’est la procédure selon laquelle le Roi retire parce qu’il est le Roi sa justice à un seigneur dès lors que le Roi considère que ce seigneur juge mal, c’est-à-dire qu’il en abuse.
Fort habilement, il motive ce choix au nom du commun profit dont le Roi est le seul interprète. On peut donc dire à la fin du XIVème, on peut dire que sauf exception qui vont rester jusqu’à la révolution française, le Roi à récupérer les justices seigneuriales qui ont quasiment disparu.
C’est la même idée selon laquelle le Roi est le seul interprète de l’intérêt général qui se retrouve dans la lutte contre les justices ecclésiastiques, lutte qui va être menée avec un siècle de décalage, surtout ou XIVème et XVème siècle.
Lutte de la royauté contre les justices ecclésiastiques
Le décalage s’explique pour plusieurs raisons :
- il ne peut tout faire en même temps
- il était plus facile de s’attaquer aux justices plus rustiques
pendant ce temps ce sont développées les justices ecclésiastique, qui s’appellent officialités, du nom de l’official, qui était le délègue de l’évêque dans chaque diocèse dans les fonctions judicaires.
La compétence de l’officialité, qui est une juridiction (C’est pour cela que c’est plus compliqué pour le Roi) s’étend d’abord à tous les clercs (tous ceux qui appartiennent au clergé – clergé régulier, clergé séculier mais y compris un certain nombre de lettrés). Les clercs bénéficiaient d’un privilège, le privilège de for. Qui signifie que parce qu’ils appartiennent au clergé, ils ne peuvent être jugés que par la justice ecclésiastiques (idées que l’on est jugé par ses pairs – personnes de même statut).
La justice ecclésiastique s’étendait aussi aux « personnes misérables » (nom donné à l’époque) ce qui signifie digne de piété et de pitié, c’était toutes les veuves (les femmes qui n’avaient plus la force masculine pour les défendre), les orphelins et les pauvres (d’où l’expression la veuve et l’orphelin). C’est donc un très grand nombre de personnes qui sont concernés par les officialités.
D’autre part les officialités (aussi appelée cours épiscopales) ont une compétence exclusive (y compris de la justice royale) pour tous les crimes contre la religion. Il y en avait 3 : le sacrilège, la sorcellerie et les hérésies. Par ex : était considéré comme hérétique celui qui disait « je ne crois pas au credo du concile de Nicée »
La compétence de l’officialité s’étendait aussi à tout ce qui concernait le mariage, puisqu’il n’était de mariage que religieux. Par conséquent, tout ce qui concernant l’avant mariage (fiançailles), les contrats de mariage, la légitimité des enfants, l’adultère et l’inceste. L’inceste c’était quelque chose de catastrophique, puisque selon le droit canon, il était considéré au 7ème degré et qu’il existait un inceste spirituel, si par ex un filleul épousait sa marraine (sans lien de sang), c’était comme un mariage incestueux. Inversement, les cas d’incestes ont permis d’annuler de nombreux mariages royaux.
Le domaine de compétence est donc extrêmement large. En revanche, il y avait d’autres matières, comme les testaments, les contrats créés par serment ou les cours ecclésiastiques étaient en concurrence avec les justices laïques (seigneuriales et royale).
Sans lancer l’attaque de front contre les officialités, va s’y atteler en ayant conscience que la tâche est difficile. On ne s’attaque pas facilement à l’Eglise quand on est un Roi sacré. Et aussi parce que ces cours ecclésiastiques étaient très bien organisées, très bien structurées par des hommes dont la connaissance juridique était exceptionnelle. Donc rien à voir avec le caractère archaïque et peu juridique des cours seigneuriales.
Il n’en reste pas moins vrai qu’en dépit des difficultés de la lutte il ne pouvait pas être question à l’époque ou la royauté s’affirme souveraine de laisser à l’Eglise des domaines de compétences. C’était incompatible.
Par conséquent le Roi, plus fort qu’il ne l’était au XIIème, partant de l’idée qu’il est source de toute justice, va affirmer que toute justice, même ecclésiastique doit lui être subordonnée. Dès lors il va développer l’idée qu’il est possible de déférer soit au Conseil du Roi, soit au Parlementent (qui est en France la cour souverain de justice), tout acte abusif de l’autorité ecclésiastique aux fins d’annulation ou de cassation.
C’est le génie du génie du génie, c’est délicieux. C’est que l’on appelle « l’appel comme d’abus ». Cela signifie que tout justiciable qui considère qu’un juge ecclésiastique a commis un abus peut faire appel, devant le Conseil du Roi ou devant le Parlement. Ce qui est génial, c’est que les cas d’ouverture de cet appel étaient très largement étendus, étaient même tellement largement que c’était au-delà de l’abus. Mais comme le Roi est source de toute justice, et qu’il est assez puissant pour damer le pion à cette justice ecclésiastique.
A partir du moment où au XIVème l’appel comme d’abus est ouvert à tout le monde, les officialités se sont retrouvées subordonnées aux justices royales. Le Roi n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Il va mettre en œuvre ce qui avait si bien réussi avec les justices seigneuriales : il va mettre en œuvre les cas privilégies (pendant des cas royaux).
L’idée étant que comme n’importe quel laïc, toute personne qui appartient au clergé (n’importe quel clerc) qui portera atteinte à la souveraineté royale (dans une conception extrêmement extensive et élastique) sera jugé par les tribunaux royaux.
Cela signifie que le fameux privilège de for qu’on appelait aussi le privilège de clergie ne met plus les clercs à l’abri de la justice royale. Et comme par hasard, un certain nombre de gens ont quitté le clergé, parce que cela ne présentait plus d’intérêt. Les juges royaux s’en sont donné à cœur joie.
Cette lutte menée par la royauté d’abord contre les justices seigneuriales et ensuite contre les justices ecclésiastiques. Il faut retenir que depuis le XIIIème, la royauté luttait contre toutes les forces, quelles qu’elles fussent. C’est dans ce cadre là qu’avait pris lieu la lutte contre les justices alternatives.
Mais pour exercer son emprise sur un royaume qui s’étend de plus en plus, la royauté va se donner les moyens. C’est-à-dire qu’elle va se doter de structures qui au plus niveau vont exprimer son pouvoir souverain.