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L’exclusivité de la paix royale

On va vers le monopole de la police, de la justice, de la guerre. On va vers un absolutisme. Le Roi n’est pas assez puissant pour faire régner la paix. L’Eglise va tenter de se substituer. Fin Xème et  XIème, les évêques dans un concile avait institué « la paix de Dieu » qui interdisait à tous les belligérants de s’attaquer à un certain nombre de lieux saints, à un certain nombre de personnes (notamment les personnes imbecilitas, c’est-à-dire faible, et en particulier les membres du clergé qui n’ont pas le droit de porter des armes, de s’attaquer aux récoltes)

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Comme cela ne suffisait pas, l’Eglise avait ajouté la Trêve de Dieu. Elle avait interdit de faire la guerre du jeudi au dimanche. Tout simplement parce que cela rappelait le jeudi saint, le vendredi saint… Et surtout le dimanche. Toute personne prise en violation de cette paix et de cette trêve de Dieu, était anathèmes, était excommuniée, mis en dehors de la communauté des fidèles, avec toutes les conséquences que cela avait.

 

Comme l’Eglise ne pouvait donner la peine de mort, elle déférait aux instances civiles. Mais ces dispositions ont été victimes de leur propre portée. A trop interdire, on finit par ne plus interdire (à la fin tout le monde était excommunié) : il faut savoir doser. Le résultat de a été le contraire : l’Eglise s’est mise à dos les seigneurs qui ont développé une hostilité Les seigneurs avaient de plus en plus de mal à supporter les ingérences des papes dans le royaume de France.

 

En particulier Calixte II ayant déclaré que cette paix était la paix de toute l’Eglise. En d’autres termes, ce qu’il faut retenir c’est que l’Eglise s’était attribué une mission d’ordre public, ce que confusément le Roi de France et les seigneurs acceptaient mal. Mais il faut quand même dire à la décharge de cette église c’est qu’elle avait agi de la sorte en raison de la défaillance du Roi qui n’avait, qui ne pouvait pas à remplir sa mission royale.

 

Ceci étant, ce n’est pas parce qu’au XIème il y a constat de défaillance du Roi pour qu’aussitôt il faille en conclure que les capétiens, que les premiers capétiens avaient oublié l’idée de paix publique qui est le fondement essentiel de l’autorité royale. Ils ne l’avaient absolument pas oublié, ils n’avaient pas les moyens de l’appliquer.

 

L’abbé Suger dessine dans la biographie de Louis VI l’image d’un roi qui règne jusqu’en 1137, d’un roi qui renoue avec les obligations de sa mission de pacificateur, tout en rencontrant beaucoup de difficultés et de résistances. Toutes les actions de Louis VI qui a passé sa vie sur le terrain. Toute l’œuvre entreprise par Louis VI annonce le redressement de l’autorité du Roi, qui alors avec son fils, son successeur Louis VII va substituer sa paix, la paix du Roi, à la paix de l’Eglise. A partir de ce moment là, les Rois capétiens successifs ne vont faire qu’accélérer leur reprise en main de cette paix. Pour ce faire, ils vont agir comme à leur habitude étape par étape.

 

La tentative de paix générale

Nous l’avons mentionné dans le cadre de l’ordonnance royale de 1155. En 1155 à Soissons, le Roi Louis VII du consentement de ses barons et des évêques, institue pour réprimer l’ardeur des « méchants » (ou des « mauvais ») et pour contenir la violence de ceux qui pillent, Louis VII institue une paix générale de 10 ans. C’est aussi parce qu’il retrouve une puissance législative qu’il peut décréter cette paix.

 

Mais cette paix établissait à la fois une mesure de trêve (plus de guerre pendant 10 ans) et une mesure de paix de Dieu, puisqu’elle était là pour contenir l’ardeur des méchants (certains seigneurs, les pillards..). Encore fallait-il que les grands soient d’accord pour faire appliquer cette paix générale dans leurs seigneuries, dans leurs baronnies…

 

Le problème, c’est qu’en 1155, quoiqu’il en ait, Louis VII n’a pas encore les moyens de faire respecter cette paix dans les grandes principautés du Royaume. On constate aussi qu’un certain nombre de grands du royaume n’avaient pas signé cette ordonnance. Or en 1155, pour qu’une ordonnance s’appliquer il faut que chaque seigneur l’ait signé. Or n’était pas venu à Soissons, le Roi d’Angleterre (alors Duc de Normandie, Duc d’Aquitaine, Duc d’Anjou), le duc de Toulouse… Donc cette ordonnance ne s’appliquait que sur une petite moitié du royaume.

 

Les légistes, et c’est très intéressant, au lieu de monter sur leurs ergots, de se braquer. La royauté va tirer les leçons de cette tentative un peu prématurée, mais qui reste un signe incontestable du redressement de l’autorité royale. Tirant leçon de cette expérience, elle va fin XIIème, début XIIIème, la Royauté va décider d’intervenir ponctuellement, c’est-à-dire de façon plus pragmatique, donc plus efficace, parce que plus réaliste. Elle décide d’abandonner pour un temps l’idée de paix générale pour être moins ambitieuse, pour développer des paix spéciales.

 

Les paix spéciales

Là il va être d’une très grande efficacité. Pour limiter les guerres privées, les vengeances privées, le Roi institue la quarantaine. Cette quarantaine (Chrétien de Troyes est un génie !)

La quarantaine est une mesure qui interdit d’attaquer les parents d’un adversaire pendant quarante jours (renvoie aux quarante jours de la Bible, du carême) ; Pendant ces 40 jours les 2 parties sont placées sous la protection royale. De la sorte, les belligérants éloignés n’étaient pas surpris par le déclenchement de la guerre privée, de la vengeance, et on espérait surtout que ce laps de temps permettrait aux esprits échauffés de se calmer.

 

Cette quarantaine c’est une espèce de réplique royale à la trêve de Dieu. Bientôt le Roi complète cette quarantaine, car une autre pratique, une autre paix spéciale, l’asseurement. Il résulte d’un serment de paix (et un serment c’est très grave car on le prête sur une relique, un livre saint).Par ce serment de paix, les 2 parties s’engagent à ne pas s’agresser mutuellement. Ceux qui ont prêté serment bénéficient de la protection royale. Ceux qui enfreignent leurs parole seront frappés d’une double de sanction : une sanction morale, mais aussi une sanction immédiate et terrestre, qui elle se fout pas mal de l’éternité et frappe tout de suite.

 

Or violer une promesse concernant une mesure royale, c’est commettre un crime de lèse-majesté. Nous sommes en plein dans le droit romain, et la lèse-majesté n’avait jamais disparu, mais elle prend là toute son ampleur. La sanction, c’est la peine capitale.

 

La royauté va accorder une troisième paix spéciale, qu’on a appelé la sauvegarde. Qui concernant un certain nombre d’établissements, de communautés ou même d’individus. Cette sauvegarde renouait avec la pratique des rois francs de la protection qu’ils devaient à leur sujet.

 

Au XIIIème la sauvegarde est exceptionnelle. Au fur et à mesure que la royauté se développe, elle s’étend à toute communauté de quelque nature que ce soit, et cela fait du monde. Les communautés elles mêmes se mettent sous la protection et demandent la sauvegarde.

 

Du coup ces mesures qui évidemment ce complète permettent aux agents du Roi, à ceux qui travaillent pour lui d’étendre l’influence royale sur tout le royaume, et d’autant que ce royaume s’étend de plus en plus, au fur et à mesure.

 

La sauvegarde finit par être considéré comme une injure personnelle faite au Roi si elle n’est pas respectée. Par conséquent, à la fin du XIIIème, par ces paix spéciales on peut dire que la Royauté avait renouer avec sa mission d’ordre public, et que elle était désormais assez forte, assez puissante pour ne plus précisément se contenter de paix spéciales, mais de renouer avec une pais qui cette fois-ci allait être une pais générale.

 

La paix générale

Début du XIVème. Note : on a encore ici une illustration de l’approche progressive de la royauté française. Incapable de mettre en place la paix générale, il adopte une approche pragmatique.

Début XIVème, dans l’ordonnance de Philippe IV le Bel, qui interdit les guerres privées. Ce qui Louis VII avait essayé de faire, Philippe IV le Bel peut ordonner que toute guerre privée soit abolie.

 

Bien sur, nous le savons tous, que certaines habitudes ont la vie dure. Certes l’ordonnance royale de 1303 met fin à toutes les guerres privées, mais la royauté n’était pas aveugle au point de ne pas savoir que non seulement il lui faudrait réitérer par voie d’ordonnance ces interdictions, mais qu’il lui faudrait aussi prendre quelques mesures plus musclées, ce qu’elle fit. En particulier elle envoyât chez les récalcitrants des soudards, des gens payés par la royauté et qui avaient ordre de loger les habitants récalcitrants à la mesure royale (de loger non pas au frais de la royauté, mais aux frais de l’habitant).

 

On peut penser que la somme des ordonnances et des contraintes ont fini par avoir raison des guerres privées (attention, on ne parle pas ici du duel), puisqu’au début du XVIème, le grand  juriste Loysel écrivait « toutes guerres sont défendues au royaume de France. Il n’y a que le Roi qui en puisse donner ». On note qu’il aura fallu 350 ans pour que la guerre, qui fait partie des droits régaliens, retombe dans l’escarcelle du Roi.

L’établissement de cette paix général va de pair avec le monopole royal de la Justice.


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Auteur : Planete Droit

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